X/I/00. Ce fut à une époque mon pseudonyme sur le net. Je signais ainsi les courriers électroniques, ce qui ne manquait pas de susciter des interrogations. Quelle idée de s’affubler d’un pareil nom de scène…
Comptons ensemble les lettres de l’alphabet. Le I arrive en 9ème position, et le X se trouve peu avant la fin, 24ème. X/I/00, 24/09/00. 24 septembre 2000. J’avais voulu fixer le souvenir de cette date, et pour m’aider à la retenir, je l’avais traduite dans l’alphabet ; puis m’est venue l’idée de m’identifier au résultat.
Le 24 septembre 2000, dans la chambre de mon meilleur ami, chez sa mère, je faisais le grand saut : j’affirmais mon homosexualité pour la première fois. Les mots avaient été difficiles à extraire de ma gorge ; toute ma volonté réunie avait encore peiné à les expulser. Mais le choix de vivre conformément à ce que je sentais depuis des années a finalement trouvé les moyens de s’exprimer.
Certains garçons apprivoisent leur homosexualité par les actes avant de le faire par les mots. Pour moi il était capital de verbaliser avant d’agir, enfin en accord avec moi-même. Le 24 septembre 2000 a marqué un basculement irréversible dans une nouvelle période de ma vie : cette fois, j’étais homosexuel, il n’y avait plus à tergiverser. Et je n’allais pas tarder à devenir pédé, ce que je suis toujours aujourd’hui.
Je me suis rarement senti tant porté par l’évidence que pendant la période qui a suivi le X/I day. Tous les efforts déployés précédemment pour contenir l’attraction sexuelle s’étaient relâchés ; il s’agissait maintenant de convier un à un mes amis à cette heureuse transition. Bientôt, mettre la famille proche dans la confidence deviendrait tout aussi évident. Les choses se sont faites, sans heurts majeurs, me laissant bien au contraire de tendres souvenirs.
Ce jour marquait pour moi l’avènement d’une sorte d’“ère affective et sexuelle”, au sens où je pouvais désormais explorer ces domaines avec une spontanéité toute nouvelle. Je rompais avec une logique de contrainte et de labeur ; le plaisir et l’émotion devenaient les nouveaux dieux de mon existence. Les mathématiques devaient en souffrir, ainsi que d’autres centres d’intérêt “intellectuels” : comme pour l’illustrer pleinement, j’ai abandonné le cours d’arabe pour m’investir dans l’associatif gay et lesbien…
J’étais en quête constante d’intensité, brocardant toute tentative de construction patiente et laborieuse. J’ai bravé mes vieux interdits, je suis finalement tombé amoureux quelques fois ; j’en ai souffert. Parallèlement, l’amitié fusionnelle telle que j’avais pu la vivre explosait avec fracas, me laissant, un peu hagard, en quête de rencontres sur les chats si prometteurs d’aventure.
Cinq ans après, j’ai l’impression qu’une page se tourne. Je suis tenté de dire que ma véritable crise d’adolescence, faite un peu en retard, prend fin maintenant. Le sexe, les relations faciles et le garçon idéal sont descendus de leur piédestal et suscitent une indifférence grandissante. Aujourd’hui je rêve plus de m’épanouir dans mon travail et de retrouver une famille.
Si je ne cherche pas à renier les cinq années passées et à prôner un retour à l’ordre moral, j’ai besoin de déplacer mes priorités, riche des enseignements de ces cinq dernières années. J’ai sans doute cru que l’on pouvait se réaliser en se focalisant sur le sexe ou la recherche d’un conjoint. Désormais, j’ai envie de voir ce que je peux mettre autour de ça – et pas seulement pour décorer.