Ma journée avait pris un tour inattendu ; une petite étincelle au cours de la rédaction de ma thèse était venue redorer l’intérêt de mon travail. J’approchais de l’Olympia le cœur léger. Pourtant cette salle ne portait guère de bons souvenirs, pour moi elle était synonyme de mauvais son et d’assistance trop parisienne pour être festive. Avant le concert, je parle de mathématiques avec mon collègue Antoine, et c’est avec un plaisir presque ironique qu’après nous être éloignés du groupe pour que la décence soit préservée, nous évoquons les subtils délices de la °c°ompacité de la boule °u°nité du °d°ual d’un °E°VN munie de la °t°opologie °f°aible-*. Tout le monde aura bien sûr reconnu le théorème de °B°anach-°A°laoglu-°B°ourbaki.

Les premières parties ? Pour beaucoup cela se bornera à Electrelane, que j’avais déjà vues aux Eurockéennes et que je ne suis pas mécontent de retrouver. J’attends aussi Malajube, curieux de voir ce que deviendra sur scène leur son assez dense que je connais un peu pour avoir écouté leur dernier album, Trompe l’Œil. Ils évacuent d’entrée de jeu leur tube Montréal -40°C dans des saturations qui, me semble-t-il, viennent masquer l’intérêt de leurs compositions. Son mal réglé sans doute, le chanteur est inaudible et c’est bien dommage. On voit leur énergie et leur enthousiasme, je sais que leurs chansons sont bonnes mais ce soir le public passera sans doute à côté. Je goûte particulièrement à leur version de Fille à Plumes, pourtant très bruyante, où la phrase d’introduction est rendue bien plus punchy par les césures sonores qu’ils y ont introduites. Par contre, je suis un peu déçu par les remarques pas très finaudes de ce québécois de chanteur, bien prompt à provoquer son public sur le terrain éculé des vaines querelles linguistiques... Consolation en clôture, la balade Étienne d’Août, certes un peu facile, mais que j’aime beaucoup.

Pendant l’entracte, je colporte un peu trop volontiers une mauvaise blague que j’avais lue sur Electrelane : « Croyez-vous que la batteuse aura eu une nouvelle caisse pour Noël ? », manière d’ironiser à bon compte sur le jeu de batterie du groupe, un peu rudimentaire. À mon étonnement amusé, les quatre filles me semblent rajeunies. C’est peut-être que leurs nouvelles compositions sonnent moins sombres, plus légères et guillerettes qu’auparavant ; toujours bien trouvées, agréables empilements-dépilements sur la durée des pistes. Pourtant aucune des quatre ne sait jouer, on arrive à quelque chose de bien sans que, pris séparément, ni le chant, ni les claviers, ni guitare ni basse ni batterie ne vaillent le détour. Ce sont des bouts de ficelles savamment et patiemment agencés pour aboutir à de belles et longues phrases musicales. Avis personnel, pour me séduire complètement il leur manque sans doute une touche de virtuosité, histoire de rendre les choses plus immédiates, plus viscérales. Cela ne m’empêchera pas d’aller écouter leur nouvel album, dont le single semble prometteur.

Arrive enfin le plat de résistance, ceux pour qui nous sommes là. C’est ma troisième fois, après l’Élysée-Montmartre et Rock-en-Seine. Quand Arcade Fire entre sur scène, c’est le retour d’une famille à qui j’aime rendre visite. Je ne les attends pas au tournant, je suis là, heureux de les voir, pour m’enivrer de leur musique. La scène de l’Olympia parait toute petite, encombrée qu’elle est du barda impressionnant que le groupe trimballe avec lui. Un orgue, ils ont amené un orgue, qui trône là au fond à gauche ! Très vite, me voilà à sauter en rythme, jeter les bras et les poings, chanter, hurler des paroles que je connais par cœur, pour le simple plaisir de le faire, parce que ça fait du bien de faire sortir tout ça et que j’en ai rarement l’occasion. L’hystérie est plus nette sur les morceaux de Funeral, ceux de Neon Bible me semblent plus studieux. J’ai conscience que mon enthousiasme provient désormais autant de leur prestation scénique que de ma connaissance de leur oeuvre. D’aucuns pointent une spontanéité moindre de leur part, un chaos trop minutieusement organisé pour être aussi diaboliquement prenant que par le passé. Peut-être. Mais la ferveur du public aura suffi à emporter mon adhésion. No Cars Go devenue incontournable, une reprise charmante de Poupée de Cire, Poupée de Son, Rebellion #2 (Laika) comme un formidable défouloir, The Well and the Lighthouse qui marche mieux que je n’aurais imaginé... De jolis moments sur My Body is a Cage, sur Ocean of Noise. Et surtout le beau cadeau que fut la version unplugged de Wake Up, tous sur le devant de la scène, à peine armés de deux mégaphones, précieux moment où j’ai pu m’entendre chanter avec eux dans un souffle, alors que le trompettiste était descendu dans la fosse et jouait à deux pas de nous.

Un bon concert est un concert où coulent les larmes. Alors que le public fredonne en chœur la mélodie qui conclut Rebellion (Lies), j’en sens poindre quelques unes au coin de mes yeux fatigués et ravis. Longtemps après qu’ils sont partis, la ritournelle survit dans le public, accélérant au rythme des applaudissements avant de s’y dissoudre enfin. À bientôt vous autres. À la prochaine.