Une rumeur parcourt le public. Ils entrent en scène dans le soir déclinant, automnal. Ce sont des retrouvailles, le retour d’une famille qui nous avait manqué. Après les acclamations, Wake Up, comme à l’Élysée-Montmartre. Toujours la ferveur, la générosité, l’entrain de ce groupe soudé. Même si l’émotion est moins écrasante qu’au précédent concert, elle est bien là, tangible. Je scrute Édouard à côté de moi, sa tranquillité m’inquiète un peu : il semble tiède. Win Butler reste imposant, mais plus fin, plus beau. La chaleur de Régine Chassagne m’enveloppe et me séduit ; je me confie à eux. Les problèmes techniques, le son erratique nuiront à l’intensité de leur prestation, me priveront de la claque de Neighborhood #2 (Laika).
Qu’importe ! S’il flotte une tension manifeste, ce que je perds ici, je le retrouve par la bienveillance : cette fois je leur suis acquis, j’ai trop pleuré sur leur disque pour leur tenir rigueur de quelques imperfections dues à cette grande scène qui leur sied moins qu’une salle plus intime. Ils ont encore grandi… Viennent No Cars Go, toujours aussi jolie sur scène, Haiti et la voix envoûtante de Régine ; et plus tard, l’intensité suffocante de Neighborhood #3 (Power Out) enchaînée, passé le déchaînement de guitares, avec Rebellion (Lies). On ne compte plus les baguettes cassées, les trépieds massacrés, et les coups portés sur le casques de moto ou de base-ball. Le choc de la violence et de la romance, voilà ce qui me fascine chez Arcade Fire.
Pas de rappels à Rock en Seine, sauf au dernier concert de la soirée. Nous laissons donc Arcade Fire rejoindre les limbes, alors que nous retrouvons mon ami Vincent, qui est venu seul. C’est l’occasion de présenter mes deux amis. Édouard se ferme comme une huître, Vincent reste timide, malgré le naturel avec lequel il fait des bises aux pédés. J’ai un rôle de bonne hôtesse à tenir, voilà qui s’annonce délicat…
Nous assisterons, plus passifs, au concert de Queens of the Stone Age. La poésie et le rêve tourmenté laissent place à un torrent de testostérone. Nous sommes dans un monde de cuir, de garçons virils et musclés, de sueur et de fracas ; pourtant au chant Josh Homme dégage une forme de féminité, la voix est trop travaillée pour le réduire à un cliché de brute mal dégrossie. Le batteur Joey Castillo se démène, agite son torse nu, massif et onctueux. Sa gueule de tueur et ses tatouages captent mon regard. Je l’imagine volontiers déambulant au sous-sol de l’Impact. Natasha Shneider, très cuir elle aussi, martèle les synthés de ses doigts squelettiques. En introduction, je reconnais Go With the Flow, et par la suite, quelques airs me reviendront des Eurockéennes. Mon attention sera inégale, finalement anéantie par la fatigue, même si leur prestation ne m’aura pas déplu.
Approche l’heure des Pixies, la grand messe de la soirée. Des hordes se seront déplacées pour venir communier. Je me sens extérieur à cela, ne les connaissant que très peu. Édouard et Vincent s’évertuent à me convertir, mais je suis une tête dure. Leur entrée sur scène est poignante. Grand-pères et grand-mère viennent donner un concert de rock, voilà qui peut prêter à sourire… mon scepticisme sera vite balayé par l’évidence de leur prestation. La simplicité qu’ils ont su conserver en dépit du culte dont ils font l’objet me les rend sympathiques. La bassiste Kim Deal, au visage marqué par les années, sagement habillée d’une chemise blanche sous un pull rouge, affiche un sourire heureux et bienveillant qui ne la quittera pas du concert. Quant aux morceaux qui s’enchaînent inlassablement, ils seront tour à tour dansés, sautés, chantés en chœur, hurlés, acclamés, notamment par mon Édouard qui prend un plaisir manifeste. Quelques larmes couleront sur Where is my mind?… Une bonne intronisation pour un inculte de mon espèce.
Le site du festival : http://www.rockenseine.com/
Photos : edisdead