°g°erboiseries*

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Rouge. Bleus. Blanc. (sur fond rose)

Une toile sèche dans le salon. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai quand le rouge ne tachera plus. L’accrocher sur mes murs vierges ? La protéger et la descendre à la cave ? L’emballer, l’emmener et la rendre ? Elle s’est invitée dans ma vie, comme ça, alors que je n’en voulais pas. Je l’avais vue venir, oh ça oui, comme un mélodrame menaçant, avec sa beauté bien sûr, mais son poids, aussi ; poids sous lequel je me sens déjà ployer. Je le lui ai dit. Je lui ai dit également que je ne savais pas dire non ; pourtant il aurait fallu, l’autre soir. Je lui ai dit qu’au matin, je m’étais senti mal. Je n’ai pas su dire pourquoi ; je ne veux pas y penser. Pas maintenant. Et me voilà avec cette toile, qui sèche dans le salon.

Une obsession

Réveil tardif, réveil poussif. Mon nouveau pantalon Carhartt. Déjeuner trop lent, départ en retard. Mes baskets. Mon pantalon, trop long ?
Métro, électro sur gerbiPod. Les Halles, kiosque à journaux, le nouveau Technikart ? Pas pour l’instant. RER, °O°rsay, travaux publics en action, salir mon pantalon ? Ah non ! Mais ce pantalon, trop long ?
Bureau porte fermée, trou spectral et Feynman Kac en solo. Déjeuner du même tonneau : en solo. Retour en flânant, contrôle de mes baskets. Mon pantalon, trop long.
Céline à mon retour, bavardage et commérage, fraîches nouvelles pas très nouvelles. Céline aime bien mon pantalon. Trop long.
Retour à la maison, corvées de vaisselle et de lessive. Mes baskets enlevées, je marche sur mon pantalon. Trop long !
Pas trop envie d’écrire, envie d’insouciance et de vide. Départ pour les Buttes Chaumont. Changement de pantalon.
Un grand black jeune et joli. Black bi donc parano. Longue errance avant l’action. Un troisième impromptu : pas mal du tout. Mac Do, métro, dodo. Et cette fois plus de pantalon.

Poignant et dérisoire

Église du villageLes trois sœurs sont entrées les premières ; assises adossées au mur, elles sont livrées à la voracité des appareils photo. Jeanne, l’aînée, a la vieillesse farouche et bourrue, un peu sorcière. Elle fut oubliée par mon frère et mes cousins, et je suis le seul parmi les jeunes à la situer clairement. Les dix dernières années ont ravagé sa sœur cadette Madeleine. Elle tient à peine debout, sa voix se perd dans un souffle chevrotant. Elle a sacrifié sa vie à une fille ingrate qui l’aura usée jusqu’à la trame. Quand le champagne chavire dans la flûte alors qu’elle essaie de la porter à ses lèvres, l’émotion me submerge.

Ma grand-mère est la benjamine des trois. Évidemment anxieuse en cette journée où elle est à l’honneur, elle restera un peu effacée et s’empressera d’aller régler la note dès que la journée touchera à sa fin. Au déballage du cadeau de ses petits enfants, ses larmes seront sur tous les visages. Mon grand-père, quant à lui, retrouvera avec peine quelques notes de mélodies d’antan sur l’accordéon diatonique qu’il a appris naguère, à l’oreille, en autodidacte.

Sa sœur Simone a la vieillesse heureuse et sûre d’elle, et son teint hâlé laisse imaginer un nouveau voyage dans les îles. Son mari Cabu ne s’est pas départi de son proverbial entrain gaulois ; il me demandera d’ailleurs « comment ça va avec les femmes ». Il sera immédiatement rabroué par sa belle-sœur Michèle, également belle-sœur de mon grand-père, dont j’avais oublié la gentillesse empressée, un brin curieuse. Elle me rappelle qu’au temps de la prépa, à Besançon, j’avais négligé d’aller la voir, et je vois soudain devant moi une vieille dame trop seule pour qui la visite est un enjeu primordial.

Arbre généalogique des convives

Marie, cousine de ma grand-mère, a toujours sa petite voix railleuse et goguenarde. Avec un plaisir mêlé de fierté, elle évoque le poirier au fond de son jardin, sous lequel j’allais jouer avec ses petits enfants pendant les vacances d’été. Son mari Jean est comme dans mon souvenir, renfrogné, acariâtre, mais en plus éteint.

On sent ma mère déterminée à ce que la journée se passe au mieux. Quand on s’enquerra de qui a soigneusement réalisé le livre d’or de mes grands-parents, elle répondra que c’est elle avec la promptitude d’une écolière qui veut plaire à la maîtresse. Mon père restera en retrait, bien à l’abri derrière la caméra dont les dimensions – et les nuisances – ont fondu au fil des ans.

Quant à moi, je passe le repas attablé près de mon frère et de mes cousins, en petite société autarcique. Mon cousin joue sans conviction le rôle du tombeur désinvolte ; ma cousine nous confie à demi mots quelques bribes d’amours à distance auxquelles elle semble ne jamais avoir cru. Mon frère est là, chaleureux et disert comme à son habitude, qualité que je lui envie souvent.

La traditionnelle photo de groupe

Ce repas d’anniversaire de mariage aura été touchant, bouleversant même. Non que je me sois senti tellement plus sociable que d’ordinaire en pareil contexte. Mon costume aura attiré les regards, suscité un peu d’admiration, mais m’aura maintenu à distance. Seulement, j’y ai compris que ma famille de sang ne saurait se réduire à l’aigreur de l’étrangeté. C’est aussi une douce nostalgie en devenir, et quelques semblables à qui je pourrais apprendre à tenir.

Piétés (Festival Rock en Seine)

Arcade Fire sur scèneUne rumeur parcourt le public. Ils entrent en scène dans le soir déclinant, automnal. Ce sont des retrouvailles, le retour d’une famille qui nous avait manqué. Après les acclamations, Wake Up, comme à l’Élysée-Montmartre. Toujours la ferveur, la générosité, l’entrain de ce groupe soudé. Même si l’émotion est moins écrasante qu’au précédent concert, elle est bien là, tangible. Je scrute Édouard à côté de moi, sa tranquillité m’inquiète un peu : il semble tiède. Win Butler reste imposant, mais plus fin, plus beau. La chaleur de Régine Chassagne m’enveloppe et me séduit ; je me confie à eux. Les problèmes techniques, le son erratique nuiront à l’intensité de leur prestation, me priveront de la claque de Neighborhood #2 (Laika). Régine Chassagne sur l'écran de Rock en Seine Qu’importe ! S’il flotte une tension manifeste, ce que je perds ici, je le retrouve par la bienveillance : cette fois je leur suis acquis, j’ai trop pleuré sur leur disque pour leur tenir rigueur de quelques imperfections dues à cette grande scène qui leur sied moins qu’une salle plus intime. Ils ont encore grandi… Viennent No Cars Go, toujours aussi jolie sur scène, Haiti et la voix envoûtante de Régine ; et plus tard, l’intensité suffocante de Neighborhood #3 (Power Out) enchaînée, passé le déchaînement de guitares, avec Rebellion (Lies). On ne compte plus les baguettes cassées, les trépieds massacrés, et les coups portés sur le casques de moto ou de base-ball. Le choc de la violence et de la romance, voilà ce qui me fascine chez Arcade Fire.

Pas de rappels à Rock en Seine, sauf au dernier concert de la soirée. Nous laissons donc Arcade Fire rejoindre les limbes, alors que nous retrouvons mon ami Vincent, qui est venu seul. C’est l’occasion de présenter mes deux amis. Édouard se ferme comme une huître, Vincent reste timide, malgré le naturel avec lequel il fait des bises aux pédés. J’ai un rôle de bonne hôtesse à tenir, voilà qui s’annonce délicat…

Rock-en-Seine sous le soleil

Nous assisterons, plus passifs, au concert de Queens of the Stone Age. La poésie et le rêve tourmenté laissent place à un torrent de testostérone. Nous sommes dans un monde de cuir, de garçons virils et musclés, de sueur et de fracas ; pourtant au chant Josh Homme dégage une forme de féminité, la voix est trop travaillée pour le réduire à un cliché de brute mal dégrossie. Le batteur Joey Castillo se démène, agite son torse nu, massif et onctueux. Sa gueule de tueur et ses tatouages captent mon regard. Je l’imagine volontiers déambulant au sous-sol de l’Impact. Natasha Shneider, très cuir elle aussi, martèle les synthés de ses doigts squelettiques. En introduction, je reconnais Go With the Flow, et par la suite, quelques airs me reviendront des Eurockéennes. Mon attention sera inégale, finalement anéantie par la fatigue, même si leur prestation ne m’aura pas déplu.

Les Pixies sur scèneApproche l’heure des Pixies, la grand messe de la soirée. Des hordes se seront déplacées pour venir communier. Je me sens extérieur à cela, ne les connaissant que très peu. Édouard et Vincent s’évertuent à me convertir, mais je suis une tête dure. Leur entrée sur scène est poignante. Grand-pères et grand-mère viennent donner un concert de rock, voilà qui peut prêter à sourire… mon scepticisme sera vite balayé par l’évidence de leur prestation. La simplicité qu’ils ont su conserver en dépit du culte dont ils font l’objet me les rend sympathiques. La bassiste Kim Deal, au visage marqué par les années, sagement habillée d’une chemise blanche sous un pull rouge, affiche un sourire heureux et bienveillant qui ne la quittera pas du concert. Quant aux morceaux qui s’enchaînent inlassablement, ils seront tour à tour dansés, sautés, chantés en chœur, hurlés, acclamés, notamment par mon Édouard qui prend un plaisir manifeste. Quelques larmes couleront sur Where is my mind?… Une bonne intronisation pour un inculte de mon espèce.

Le site du festival : http://www.rockenseine.com/
Photos : edisdead