°g°erboiseries*

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Soldes...

Soldes Radiohead

... avant le grand départ ...

... départ ...

... pour un inconnu un peu trop connu.

Montbéliardes

Retour de l’été

Mon regard embrasse la petite chambre de cité universitaire que je m’apprête à quitter. Les t-shirts sales sont rangés, aucune serviette n’y sèche plus dans la torpeur estivale. Le matelas esseulé a retrouvé son sommier ; dépossédé de ses draps, il attend désormais un nouveau locataire, qu’il trouvera sans doute à la rentrée. Mon sac attend dans le couloir, impérieux et impatient. Certes l’on m’avait prévenu. Je n’avais écouté les mises en garde que distraitement, assuré que j’étais de mon don pour l’indifférence. Je le sais maintenant : cela sera plus difficile que prévu. Soudain, comme une trahison ma gorge se serre.

Le Lutin

Dans l’escalier surgissent les falaises de Luminy à travers les verrières poussiéreuses. Quelques affiches périmées s’accrochent encore ici ou là, vestiges de cette semaine passée hors du monde. Une fois en bas, je jette mes draps roulés en boule sur la pile encore modeste. Il n’est que 8 heures, la cité baigne dans le calme du matin et il est là, assis paisiblement sur le perron, à fumer en m’attendant.

« As-tu dit au revoir à Richard ?
— J’ai frappé à sa porte mais il n’a pas répondu. Je n’ai pas osé le déranger.
— Tu devrais y aller, même s’il dort. Peu importe que tu le réveilles. Il te l’a demandé, ça lui fera plaisir.
— Tu as raison. Je remonte. Tu m’attends ? »

Je m’étonne à peine qu’il ait cerné ma lâcheté. Malgré sa jeunesse je crois qu’il connaît bien la nature humaine. Je ne suis généreux que par accident, lui y met toute sa volonté. Heureux de suivre son conseil, deux étages plus haut je frappe de nouveau à la porte de Richard. Cette fois il répond, et je le trouve allongé sur le lit, enveloppé dans son drap. Dans la pénombre j’imagine les restes de saucisson et les bouteilles de vin rouge qui ont présidé à nos apéritifs si chaleureux. Les adieux sont simples et doux, promesses de retrouvailles futures.

Redescendu, je trouve le lutin aux côtés d’une panthère rose portugaise. Sur une affiche placardée à l’entrée, un croquis figure une équation. Une éprouvette, plus une seringue, plus un procédé technique un peu obscur pour moi petit pédé, égalent un profil féminin dénudé au ventre rebondi. En trois langues, « Insémination à la maison ». Lui se montre perplexe : « Que tu expliques le principe en atelier, je trouve ça bien, mais pour moi c’est une décision qui doit être mûrement réfléchie... ». Échange complice d’éclats de rire entre la panthère et moi. Dans sa candeur attendrissante, le lutin imaginait qu’ici-même, les garçons allaient aider les filles à enfanter, portés par le doux rêve de notre semaine communautaire.

Après avoir pris congé de notre amiE protugaisE, nous prenons le chemin de l’école des Beaux-Arts qui scellera mon départ. Dans sa chemisette à carreaux trop grande pour lui et son pantalon retroussé jusqu’aux genoux, il marche pieds nus entre les éclats de verre. Demain, ce petit moussaillon rejoindra Toulon. Loin de sa Bretagne natale, il construit un voilier qui l’emmènera outre-Atlantique si les vents lui sont favorables. Jamais ce garçon ne prend l’avion.

Sur la route il guette la camionnette qui vient livrer le pain. Il s’est chargé de prendre les commandes pour le bâtiment et de les distribuer dans les étages tous les matins. Chaque moteur qui approche menace nos derniers instants partagés. Aujourd’hui Richard a commandé trois croissants. Ultime privilège, il pourra jouir d’une livraison toute personnelle. Un croissant dissimulé au creux de chaque bras ; quant au troisième… J’aurais donné cher, non pour assister au spectacle, mais pour qu’on me le raconte. L’aisance de notre farfadet avait d’ores et déjà fait des prodiges. Dans la voiture, au retour de notre escapade en tête-à-tête à Cassis, Richard m’avait confié combien il avait été touché de voir le lutin s’enquérir, en toute simplicité, de sa vie d’universitaire montréalais à la retraite. Questions que jamais, je n’aurais osé lui poser aussi directement… Mes élans d’amitié s’embarrassent parfois de précautions aussi malaisées que superflues.

Le Torpilleur de Sugiton

Les mots se tarissent peu à peu tandis que la grille de l’école se dresse à quelques pas. Mon regard se fait timide, se réfugie dans le vague, comme pour oublier la tristesse du moment. Ce sera bref. Je fuis les atermoiements ; question de dignité. À mon intention de lui écrire il réplique que ses réponses tarderont. La veille il avait expliqué que jamais personne n’était parvenu à l’enfermer : les gens se retrouvaient avec leur jolie cage dorée entre les mains, et lui à l’extérieur, paré de son sourire mutin, s’obstinait à bondir comme un esprit insaisissable. Point de fils de grillage entre mes mains, je ne m’y suis pas trompé ; juste le soin apporté à un sentiment mystérieux, incertain, fragile... mais sincère. Un baiser, un peu inquiet, je sens une fois encore son joli corps mince et tendu, et je m’en vais rendre les clefs, reniflant quelques larmes que je ne veux pas sentir rouler. Déjà se dessine, loin devant, le fantasme de l’année prochaine.

La paix !

Indolent, un peu morose, je traverse l’esplanade de Beaubourg. Les touristes et les Parisiens s’y chauffent sous un soleil déjà chargé de plomb. Deux garçons slaloment entre les corps, perchés sur des monocycles. Le premier a la jeunesse conquérante quoiqu’un peu crasseuse ; il avance d’une allure assurée sans craindre l’incident. Son comparse est plus maladroit ; ses maigres bras, d’où pend un t-shirt défoncé, préservent à grand-peine son équilibre improbable. Un peu plus loin, un amuseur public lève l’enthousiasme de la foule par quelque pitrerie. Une femme glisse sur la rue St-Martin, l’esquisse de son portrait à la main. D’un coup d’œil il me parait bien grossier. J’ai toujours eu peur de ces caricaturistes, allant jusqu’à prendre ombrage de leurs invitations à m’asseoir pour quelques instants. Au coin de la place Michelet, un vieil Arabe joue de son oud mais les notes trop discrètes échouent à percer jusqu’à moi. Elles sont couvertes par une trompette, un peu plus loin, qui termine sa phrase musicale. Mélodie connue, comme désagréable pour avoir été trop rabâchée ; mélodie incongrue, mélodie intempestive sur cette place bigarée, bondée en ce samedi ensoleillé.

Des militants de l’UMP distribuent des tracts pour leur candidat. L’une d’entre eux fait mine de me tendre deux tracts. Devant mon mutisme noir, spontanément hostile, elle se ravise bien vite. La trompette reprend. Au pied d’un grand drapeau qu’on peine à faire flotter, un grand échalas fait tonner la Marseillaise.

Laura Veirs à la Maroquinerie

Je ne suis pas physionomiste. Un regard attrapé aux abords de la Maro, un regard au crâne chauve, au polo et au jean de pédé. Nous sommes-nous déjà rencontrés, joli monsieur ? Je l’observe bavarder au téléphone de l’autre côté de la rue. Trois siècles après, mais c’est bien sûr, c’était chez les Popingays… D’ailleurs en voilà un, de Popingay, et il se dirige vers le garçon-mystère. Pour finir je leur dis à peine bonjour, je n’aurai pas échangé deux mots avec le semi-inconnu. Il y a quelque chose qui déconne dans ma vie sociale.

Laura Veirs - Saltbreakers Mais on est là pour parler d’un concert je crois. Laura Veirs, (je peux t’appeler Laura ? oh, c’est trop cool de ta part), Laura donc, c’est ma copine. Et comme les vraies copines dans la vraie vie, parfois elle fait un peu la gueule, elle doit avoir ses soucis comme tout le monde. Elle fait sa mine préoccupée, elle boude un peu, elle fait moins de blagues que d’habitude. On se demande si elle s’est fait larguer ou si elle s’est engueulée avec son groupe, les nerfs, la chaleur de la salle, le stress des cordes de guitare qui pètent, tout ça. Enfin c’est pas trop grave, comme ça au moins on est en phase, ma copine et moi. Toujours ses belles chansons un peu tristes, tantôt contemplatives, tantôt pleines d’entrain, ici accompagnées de son groupe, les Saltbreakers récemment rebaptisés à l’unisson du dernier album, ces musiciens que j’aime beaucoup, avec leurs faux airs de nerds et leurs arrangements souvent délicats, jamais prétentieux. De cet album, presque intégralement parcouru, je retiendrai Wandering Kind, efficace, Ocean Night Song dont le triangle m’aura immédiatement terrassé ainsi que les balades plus tranquilles, Drink Deep, Nightingale et To the Country qui passent mieux que prévu en concert. Laura m’aura offert le plaisir de Shadow Blues, un de mes favoris absolus de l’excellent album Carbon Glacier. Du suivant, outre un Parisian Dream au final assez dispensable et un arrangement de Where Gravity is Dead qui m’aura laissé perplexe, Galaxies toujours très bon en live.

Tout au long du concert, j’ai l’impression qu’elle me regarde. « Dis-moi, °g°erboise, qu’est-ce qui ne va pas dans ta vie à toi ? » Oh, on va pas parler de ça ce soir… Ce qui me ferait plaisir, c’est juste Rialto, qu’on tape tous ensemble dans nos mains comme à la Cigale, tu sais le moment où je me suis dit ça y est, je suis amoureux d’elle... Et puis Wrecking, si je suis là c’est un peu pour pleurer, aussi. Et pourtant Laura s’en va, un peu précipitamment, toujours bécheuse sur les bords. Oh non, et Wrecking, alors ? Heureusement, les rappels sont chaleureux. « OK. One more song ! » Rialto ! À croire que le public a répété, il est en phase et martèle le rythme jusqu’à la toute fin de la chanson. Voilà notre Laura presque impressionnée. Allez, une dernière pour la route : Wrecking, évidemment. Vraiment Laura, même quand tu boudes, y a pas à dire t’es trop forte.

Je repars chez moi le pas léger la tête en l’air, sans dire au revoir aux Popingays (qui se sont barrés bien vite, de toute manière). Sinon il y avait aussi deux premières parties. C’était Your Heart Breaks (with pieces of Saltbreakers inside) et Marissa Nadler. C’est pas qu’elles étaient pas bien, bien au contraire. C’est juste que j’aime pas les mots en ce moment. J’ai envie de donner autrement.

Arcade Fire à l'Olympia

Ma journée avait pris un tour inattendu ; une petite étincelle au cours de la rédaction de ma thèse était venue redorer l’intérêt de mon travail. J’approchais de l’Olympia le cœur léger. Pourtant cette salle ne portait guère de bons souvenirs, pour moi elle était synonyme de mauvais son et d’assistance trop parisienne pour être festive. Avant le concert, je parle de mathématiques avec mon collègue Antoine, et c’est avec un plaisir presque ironique qu’après nous être éloignés du groupe pour que la décence soit préservée, nous évoquons les subtils délices de la °c°ompacité de la boule °u°nité du °d°ual d’un °E°VN munie de la °t°opologie °f°aible-*. Tout le monde aura bien sûr reconnu le théorème de °B°anach-°A°laoglu-°B°ourbaki.

Les premières parties ? Pour beaucoup cela se bornera à Electrelane, que j’avais déjà vues aux Eurockéennes et que je ne suis pas mécontent de retrouver. J’attends aussi Malajube, curieux de voir ce que deviendra sur scène leur son assez dense que je connais un peu pour avoir écouté leur dernier album, Trompe l’Œil. Ils évacuent d’entrée de jeu leur tube Montréal -40°C dans des saturations qui, me semble-t-il, viennent masquer l’intérêt de leurs compositions. Son mal réglé sans doute, le chanteur est inaudible et c’est bien dommage. On voit leur énergie et leur enthousiasme, je sais que leurs chansons sont bonnes mais ce soir le public passera sans doute à côté. Je goûte particulièrement à leur version de Fille à Plumes, pourtant très bruyante, où la phrase d’introduction est rendue bien plus punchy par les césures sonores qu’ils y ont introduites. Par contre, je suis un peu déçu par les remarques pas très finaudes de ce québécois de chanteur, bien prompt à provoquer son public sur le terrain éculé des vaines querelles linguistiques... Consolation en clôture, la balade Étienne d’Août, certes un peu facile, mais que j’aime beaucoup.

Pendant l’entracte, je colporte un peu trop volontiers une mauvaise blague que j’avais lue sur Electrelane : « Croyez-vous que la batteuse aura eu une nouvelle caisse pour Noël ? », manière d’ironiser à bon compte sur le jeu de batterie du groupe, un peu rudimentaire. À mon étonnement amusé, les quatre filles me semblent rajeunies. C’est peut-être que leurs nouvelles compositions sonnent moins sombres, plus légères et guillerettes qu’auparavant ; toujours bien trouvées, agréables empilements-dépilements sur la durée des pistes. Pourtant aucune des quatre ne sait jouer, on arrive à quelque chose de bien sans que, pris séparément, ni le chant, ni les claviers, ni guitare ni basse ni batterie ne vaillent le détour. Ce sont des bouts de ficelles savamment et patiemment agencés pour aboutir à de belles et longues phrases musicales. Avis personnel, pour me séduire complètement il leur manque sans doute une touche de virtuosité, histoire de rendre les choses plus immédiates, plus viscérales. Cela ne m’empêchera pas d’aller écouter leur nouvel album, dont le single semble prometteur.

Arrive enfin le plat de résistance, ceux pour qui nous sommes là. C’est ma troisième fois, après l’Élysée-Montmartre et Rock-en-Seine. Quand Arcade Fire entre sur scène, c’est le retour d’une famille à qui j’aime rendre visite. Je ne les attends pas au tournant, je suis là, heureux de les voir, pour m’enivrer de leur musique. La scène de l’Olympia parait toute petite, encombrée qu’elle est du barda impressionnant que le groupe trimballe avec lui. Un orgue, ils ont amené un orgue, qui trône là au fond à gauche ! Très vite, me voilà à sauter en rythme, jeter les bras et les poings, chanter, hurler des paroles que je connais par cœur, pour le simple plaisir de le faire, parce que ça fait du bien de faire sortir tout ça et que j’en ai rarement l’occasion. L’hystérie est plus nette sur les morceaux de Funeral, ceux de Neon Bible me semblent plus studieux. J’ai conscience que mon enthousiasme provient désormais autant de leur prestation scénique que de ma connaissance de leur oeuvre. D’aucuns pointent une spontanéité moindre de leur part, un chaos trop minutieusement organisé pour être aussi diaboliquement prenant que par le passé. Peut-être. Mais la ferveur du public aura suffi à emporter mon adhésion. No Cars Go devenue incontournable, une reprise charmante de Poupée de Cire, Poupée de Son, Rebellion #2 (Laika) comme un formidable défouloir, The Well and the Lighthouse qui marche mieux que je n’aurais imaginé... De jolis moments sur My Body is a Cage, sur Ocean of Noise. Et surtout le beau cadeau que fut la version unplugged de Wake Up, tous sur le devant de la scène, à peine armés de deux mégaphones, précieux moment où j’ai pu m’entendre chanter avec eux dans un souffle, alors que le trompettiste était descendu dans la fosse et jouait à deux pas de nous.

Un bon concert est un concert où coulent les larmes. Alors que le public fredonne en chœur la mélodie qui conclut Rebellion (Lies), j’en sens poindre quelques unes au coin de mes yeux fatigués et ravis. Longtemps après qu’ils sont partis, la ritournelle survit dans le public, accélérant au rythme des applaudissements avant de s’y dissoudre enfin. À bientôt vous autres. À la prochaine.

Les yeux ouverts

Et il y a ces plans que l’on fait les yeux ouverts. Ces garçons percutés à peine notre champ de vision pénétré, ces garçons par les yeux rencontrés. Las de nos errances, nos regards se sourient à l’entrée de l’alcôve. Sitôt enfermés nos corps se découvrent, nos lèvres se cherchent et déjà se trouvent. La passion libérée, toute prudence omise, l’excitation prend des forteresses au doute ennemi. Nous sommes là, l’un pour l’autre, résolus à ne faire qu’un. Familier, il invoque des amants dont le souvenir m’est tendre. Sa beauté n’est pas violence, son triomphe reste modeste et digne. En lui point de hauteur ni de calcul, son désir rayonne la sincérité. Cependant il ne craint pas, son empire est de sérénité, il me veut et il m’aura, il m’aura parce que je brûle de m’abandonner et qu’enfin je le peux. Nos yeux ne se quittent guère que pour laisser nos langues se mêler. Je lis au fond de lui la folie de notre étreinte, sauvage, urgente, heureuse de cette fusion tant mystérieuse qu’inespérée. Déjà mes yeux se voilent et se fascinent alors que les secondes s’effacent sous le tangage de nos hanches, que l’éternité s’annonce dans son regard planté dans le mien. D’un geste il m’interrompt, pas tout de suite, pas trop vite, profitons. Je quitte ma gravité pour lui sourire quelque peu, admirer encore ce visage de petit brun dont je rêve si souvent, mes mains parcourent son torse humide et doux, l’enveloppent de ma reconnaissance émue. Peut-être est-ce là qu’il faut dire « Je t’aime ». Moi je n’ose que me taire, me recueillir en silence devant la beauté de l’extase. Dans mon culte muet je lui grave des stèles que je viendrai fleurir en pensée, encore longtemps après.

Un mois

Presque un mois sans poster. Peu de choses à dire, peu de choses à raconter, parcimonie, économie, discrétion presque. Un mois passé dans le XHTML, le CSS et les bases MySQL pour migrer, enfin. Bien sûr en cela rien d’essentiel, que du divertissement. Un mois sans effort à la thèse, un mois à apprivoiser mes nouveaux étudiants, pour réaliser qu’eux non plus ne seront pas courageux. Un mois à lire en dilettante les blogs des uns et des autres, à laisser une petite crotte de souris de ci de là, au hasard de ma paresse. Un mois avec un garçon, plus ou moins avec lui, à côté peut-être, un mois à l’accompagner, à l’emporter avec moi dans le RER ou dans mes promenades au soleil, à l’ouvrir et à le refermer comme le livre de Foucault que j’abandonnerai sans doute, ou peut-être comme La Curée, le nouveau Zola où j'avance sans hâte, en confiance, petit voyage dépaysant juste ce qu'il faut, sans les nausées des transports trop inconfortables. Un mois de retour de spleen, d’un grain nouveau, accueilli comme on retrouve une vieille relation, un peu râpée par les années, familière, un brin mélancolique. Un mois de familles, tantôt proches, tantôt lointaines, étranges, étrangères, puis chaleureuses, caressantes. Un mois sans amants, sans compter, un mois d’indifférence à lâcher les corps sitôt empoignés, à les lâcher pour n’en retenir qu’un seul, à s’en satisfaire, à s’en féliciter, à s’en réjouir comme on goûte la lumière d’hiver sur les HLM d’en face, toujours la même, celle qui me rend la fumée si belle, à découper ainsi sur la façade les volutes de mon errance pensive.

2006 / 2007

J’ai commencé à lire le Journal de Fabrice Neaud. Plusieurs fois on me l’avait conseillé, DT et *j* y avaient vu un sujet proche de ce qu’est mon blog d’obsédé sexuel. Je le déguste patiemment, touché par la beauté du dessin, captivé par le propos. Cela s’annonce poignant. Après le Combat Ordinaire et le Retour à la Terre de Manu Larcenet, *j* aura finalement réussi à me mener à la BD.

Tant qu’on est dans les livres, ma fin d’année a été illuminée par Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse, sans doute le roman qui m’aura le plus touché l’année passée. J’en retiens le destin de vaguant de Goldmund, sa quête mystique de l’image de la mère, l’identification de cette quête à la mort. Sinon, j’ai été agréablement surpris par Pot-Bouille de Zola, drôle, à la fois grave et léger dans sa peinture des occupants d’un immeuble hausmannien de la rue de Choiseul sous le Second Empire. Nourrirai-je le projet de lire tous les Rougon-Macquart ? Cela ne fait guère que vingt romans après tout.

Lire, une source sûre de joie au milieu des tourments d’une année 2006 qu’on peut qualifier en ce qui me concerne d’année de merde. 2006 aura vu la Sexualité brutalement déboulonnée du piédestal de mes loisirs. Mieux vaut dorénavant éviter les fantaisies en plein air — de toute manière là il fait froid et j’ai une sinusite — et comme je deviens vieille le sauna c’est plus cher maintenant. Mais surtout, le Sexe, c’est devenu l’Ennui.

Y a-t-il plus de place pour un roudoudou ? Pas n’importe lequel, assurément. Les « apolitiques » et autres lecteurs du Figaro en ont été pour leurs frais dernièrement. Il me faut quelqu’un qui ne dise pas des choses affreuses sur les pauvres, les étrangers ou les séropos. Quelqu’un que n’effraie pas mon baluchon de vagabond sexuel et les stigmates qui en marquent mon quotidien. Quelqu’un qui sache jouer avec la sexualité, en parler sans prendre un air de duchesse pincée. Tout ça n’est pas donné à tout le monde.

Cette année ne part pas trop mal. Ma putain de thèse alimente des angoisses variées, mais le tumulte est adouci par une rencontre prometteuse [message subliminal : si les commères pouvaient nous laisser un peu en paix, je leur en serais reconnaissant, merci]. Peut-être aussi aurai-je la joie de retourner en Normandie ; j’ai envoyé une carte de vœux à la mère d’Antoine qui, en retour, m’a invité à lui rendre visite !

Répondre

— Parce qu’il montre devant soi ce qui est derrière soi.

°g°erboiserie II

On m’a dit ce week-end que j’étais un obsédé sexuel.

Écrase-merde

« T’as de belles chaussures !
— Tu veux rire… Je les ai achetées en soldes 20 euros chez Esprit, elles m’avaient tapé dans l’œil dans la vitrine, mais une fois aux pieds à la maison elles ne m’ont plus tapé dans l’œil du tout. De vraies écrase-merde ! »

Voilà le seul moment de franche hilarité de ce repas de Noël qui s’annonçait pénible, et qui le fut. Toute la famille du frère de ma mère réunie dans la salle à manger encombrée de mon oncle, des gens que je connais peu, mais suffisamment pour savoir que je ne recherche pas leur compagnie. Écrase-merde. Élégante manière de titiller mon goût pour la scatologie fine, celle qui me fait partir dans des fous-rires aussi inexpliqués que délicieusement honteux. À partir de là, c’en est fini de cette tante par alliance, sympathique à force de tendre bonhomie, la voilà réduite à ses bottines noires largement lacées, montées sur un talon pilotis à l’instabilité disgracieuse.

Des « chaussures de Jacquouille sur talons », tente le grand cousin au visage en lame de couteau. Le succès est moindre, cet héritage familial-là me reste plus douloureux, moins assumé. Les mêmes arrière-goûts poisseux suintent du mur du salon. La fête est aussi celle des vingt ans d’un autre cousin. On a rassemblé ses photographies d’enfance et d’adolescence, on les a compilées en une rétrospective où les personnages nous gratifient de commentaires soi-disant comiques grâce à des bulles que l’on y a collées. « Le Stade de France c’est super, même si Zaouer c’est pas le meilleur des Sochaliens !!! ». À l’entrée de l’édifice, mon cousin pose à côté d’un jeune maghrébin d’une quinzaine d’années, le visage souriant sous une abondante chevelure de jais.

Décalage, irrémédiable décalage, je n’ai rien à dire à ces gens, ou plutôt je ne veux rien avoir à leur dire. Silence et fuite dans les toilettes, ébriété aux vertus sédatives plus feinte que réelle furent mes pauvres refuges tout au long de cette interminable journée.

Que leur dire ? Ma cousine ne se marie pas encore mais c’est presque fait. Huit mois de relation, elle emménage avec un informaticien à Belfort, on lui offre déjà des housses de couette et des parures de bain. C’est la marche inexorable du trousseau. Pour le boulot elle a préféré Belfort la grise à Besançon pourtant plus accueillante ; son homme avait d’ores et déjà trouvé un travail au pied du Lion. « Et toi [°g°erboise], toujours célibataire ? — J’ai rencontré un garçon, il est doux, passionné de musiques électroniques, il a un joli cul et une bite à tomber à la renverse, on ne s’est vus qu’une fois pour l’instant, mais je compte bien le revoir… » Évidemment, non, ce n’est pas possible : nous sommes ici dans la seule partie du monde qui ignore encore que je suis pédé. « Oui, toujours célibataire, même si ce n’a pas toujours été le cas. » Avancée remarquable, je sous-entends que parfois il se passe quelque chose dans ma vie affective. Ah ça, vraiment remarquable.

Je crois que j’ai la flemme, que j’en ai marre d’expliquer, de buter sur leur vision étroite de la vie. Tout écart à « ce qui se fait » promet des mois d’efforts de pédagogie. Pourtant mon ressenti a quelque chose d’absurde : ce bout de famille a aussi ses fêlures, ses attentats à la norme. Une des cousines n’a pas de copain connu, des rumeurs de saphisme circulent à son sujet. Son frère sort avec une femme plus vieille que lui dont le fils pourrait être son petit frère. Jusqu’à la chienne de la tante Écrase-merde : lesbienne elle-aussi, elle refuse obstinément de laisser les mâles approcher. Dieu merci, sans cela nous aurions déjà une nichée de Yorkshire à la maison, mon père et ma mère ayant passé leur journée à gagater devant cette pauvre bestiole avide de nourriture qu’on n’avait de cesse de lui refuser : « Non, après elle est malade ! »

°g°erboiserie

Il y a des soirs où, plutôt que de zoner sur des blogs à lire les conneries des élèves des autres, on ferait mieux d’avancer dans Narcisse et Goldmund.

Autoscope II (Perquisition)

« Monsieur P*****, vous avez préparé vos exercices ?
— J’ai cherché mais j’ai pas trouvé, monsieur !
— En ce cas il doit y en avoir des traces écrites, non ? »

Il m’indique la feuille devant lui, une ligne brouillone écrite en biais sur une page vierge. Sans doute la question que je viens d’écrire au tableau. C’est le genre de petit mec plutôt joli, pas idiot du tout mais trop sûr de lui, paresseux, dont les plus avisés doivent dire « Je sais pas, il est cool mais je trouve qu’il se la pète un peu ».

« Vous vous foutez de moi, quoi. Ne me prenez pas pour un imbécile ! Mademoiselle S***, vous avez préparé ? Faites voir ? D’accord… »

Une petite croix de plus dans mon joli tableau.

Autoscope I

« Hier soir, juste avant de me coucher, j’ai eu une idée funeste. »

(on se gausse dans la salle, sans doute l’adjectif, choisi il est vrai pour qu’il soit incongru)

« J’ai eu l’idée saugrenue de corriger quelques unes de vos copies. »

(rumeurs)

« Autant vous dire que je ne me suis pas endormi de manière sereine. »

(silence)

« C’est catastrophique. »

Peut-être

finirai-je par écrire quelque chose.