°g°erboiseries*

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La paix !

Indolent, un peu morose, je traverse l’esplanade de Beaubourg. Les touristes et les Parisiens s’y chauffent sous un soleil déjà chargé de plomb. Deux garçons slaloment entre les corps, perchés sur des monocycles. Le premier a la jeunesse conquérante quoiqu’un peu crasseuse ; il avance d’une allure assurée sans craindre l’incident. Son comparse est plus maladroit ; ses maigres bras, d’où pend un t-shirt défoncé, préservent à grand-peine son équilibre improbable. Un peu plus loin, un amuseur public lève l’enthousiasme de la foule par quelque pitrerie. Une femme glisse sur la rue St-Martin, l’esquisse de son portrait à la main. D’un coup d’œil il me parait bien grossier. J’ai toujours eu peur de ces caricaturistes, allant jusqu’à prendre ombrage de leurs invitations à m’asseoir pour quelques instants. Au coin de la place Michelet, un vieil Arabe joue de son oud mais les notes trop discrètes échouent à percer jusqu’à moi. Elles sont couvertes par une trompette, un peu plus loin, qui termine sa phrase musicale. Mélodie connue, comme désagréable pour avoir été trop rabâchée ; mélodie incongrue, mélodie intempestive sur cette place bigarée, bondée en ce samedi ensoleillé.

Des militants de l’UMP distribuent des tracts pour leur candidat. L’une d’entre eux fait mine de me tendre deux tracts. Devant mon mutisme noir, spontanément hostile, elle se ravise bien vite. La trompette reprend. Au pied d’un grand drapeau qu’on peine à faire flotter, un grand échalas fait tonner la Marseillaise.

Laura Veirs à la Maroquinerie

Je ne suis pas physionomiste. Un regard attrapé aux abords de la Maro, un regard au crâne chauve, au polo et au jean de pédé. Nous sommes-nous déjà rencontrés, joli monsieur ? Je l’observe bavarder au téléphone de l’autre côté de la rue. Trois siècles après, mais c’est bien sûr, c’était chez les Popingays… D’ailleurs en voilà un, de Popingay, et il se dirige vers le garçon-mystère. Pour finir je leur dis à peine bonjour, je n’aurai pas échangé deux mots avec le semi-inconnu. Il y a quelque chose qui déconne dans ma vie sociale.

Laura Veirs - Saltbreakers Mais on est là pour parler d’un concert je crois. Laura Veirs, (je peux t’appeler Laura ? oh, c’est trop cool de ta part), Laura donc, c’est ma copine. Et comme les vraies copines dans la vraie vie, parfois elle fait un peu la gueule, elle doit avoir ses soucis comme tout le monde. Elle fait sa mine préoccupée, elle boude un peu, elle fait moins de blagues que d’habitude. On se demande si elle s’est fait larguer ou si elle s’est engueulée avec son groupe, les nerfs, la chaleur de la salle, le stress des cordes de guitare qui pètent, tout ça. Enfin c’est pas trop grave, comme ça au moins on est en phase, ma copine et moi. Toujours ses belles chansons un peu tristes, tantôt contemplatives, tantôt pleines d’entrain, ici accompagnées de son groupe, les Saltbreakers récemment rebaptisés à l’unisson du dernier album, ces musiciens que j’aime beaucoup, avec leurs faux airs de nerds et leurs arrangements souvent délicats, jamais prétentieux. De cet album, presque intégralement parcouru, je retiendrai Wandering Kind, efficace, Ocean Night Song dont le triangle m’aura immédiatement terrassé ainsi que les balades plus tranquilles, Drink Deep, Nightingale et To the Country qui passent mieux que prévu en concert. Laura m’aura offert le plaisir de Shadow Blues, un de mes favoris absolus de l’excellent album Carbon Glacier. Du suivant, outre un Parisian Dream au final assez dispensable et un arrangement de Where Gravity is Dead qui m’aura laissé perplexe, Galaxies toujours très bon en live.

Tout au long du concert, j’ai l’impression qu’elle me regarde. « Dis-moi, °g°erboise, qu’est-ce qui ne va pas dans ta vie à toi ? » Oh, on va pas parler de ça ce soir… Ce qui me ferait plaisir, c’est juste Rialto, qu’on tape tous ensemble dans nos mains comme à la Cigale, tu sais le moment où je me suis dit ça y est, je suis amoureux d’elle... Et puis Wrecking, si je suis là c’est un peu pour pleurer, aussi. Et pourtant Laura s’en va, un peu précipitamment, toujours bécheuse sur les bords. Oh non, et Wrecking, alors ? Heureusement, les rappels sont chaleureux. « OK. One more song ! » Rialto ! À croire que le public a répété, il est en phase et martèle le rythme jusqu’à la toute fin de la chanson. Voilà notre Laura presque impressionnée. Allez, une dernière pour la route : Wrecking, évidemment. Vraiment Laura, même quand tu boudes, y a pas à dire t’es trop forte.

Je repars chez moi le pas léger la tête en l’air, sans dire au revoir aux Popingays (qui se sont barrés bien vite, de toute manière). Sinon il y avait aussi deux premières parties. C’était Your Heart Breaks (with pieces of Saltbreakers inside) et Marissa Nadler. C’est pas qu’elles étaient pas bien, bien au contraire. C’est juste que j’aime pas les mots en ce moment. J’ai envie de donner autrement.