Amir
samedi 26 novembre 2005, 23h06
Je viens d’arriver, heureux des perspectives de détente. Sûr de moi. À la sortie des vestiaires, je toise un brun aux yeux bleus, visage sympathique. Sous la douche, je me savonne patiemment, puis je me dirige vers le hammam. Les mecs y passent furtivement, observent, puis repartent. Des dindes jacassent dans l’entrée, la quiétude est à prix d’or. Je m’abandonne à la chaleur suave. En face de moi, au fond, une silhouette se dissout dans la vapeur.
Un homme vient s’asseoir ; entre deux âges, trapu, musclé, démarche virile, montre à gros bracelet. Des tongs. De gros bras et des tongs. Il me mate. Je suis flatté ; je l’ignore. Je sors, je prends une douche dans la pénombre, indifférent. Il me suit. Je monte à l’étage des cabines. Il me suit.
Il a choisi une cabine à fenêtres. Peu inspiré j’en fais le tour. Je le vois qui rabat les battants en bois. « Je ne savais pas qu’on pouvait fermer les volets ». Une haute marche en marque l’entrée. J’entre à genoux, gauche. Il ferme la porte, s’approche, m’embrasse. Bien, il le fait très bien. Il sait la sensualité. Sa langue parcourt mon corps. J’aimerais tout arrêter pour observer le sien, un peu. Dans la pénombre il est beau. Lisse et parfait comme sa peau douce sous mes doigts. Ses jolis pectoraux, ses bras musclés, son petit cul d’une teinte nettement plus claire.
Je m’y attendais. Il sait la sensualité, mais il ne sait pas la tendresse. Il joue à l’homme, à ce qu’il imagine être l’homme : il doit s’imposer, passer en force. Moi ça m’ennuie. Il marmonne des trucs que je ne comprends pas. Il a un accent, assez joli. En fait il est libanais. Encore un libanais. J’aurais dit feuj. « Tu voudrais pas aller à côté ? Juste à côté, chez moi ? » Mais, euh, je viens à peine d’arriver. Question éludée, les étreintes reprennent. Mes orteils dans sa bouche, j’oublie qu’il s’y prend mal. Qu’il me fait mal. Oh, et puis non : pause. Claquement élastique. Il retire sa capote.
En le caressant doucement : « J’aimerais bien avoir des pecs comme les tiens. — Moi je préférerais être comme toi. Dessiné. — Sec ? — Oui ! Mais ça fait six mois que je suis pas allé au sport. — Ben ça va, tu es bien foutu, musclé. » Il me montre ses hanches, attrape ce qui dépasse, prend un air dépité. « Oh, rien de grave, moi je préfère les mecs pas trop secs. Un peu moelleux quoi. » Il a 38 ans. Il n’a pas de problème avec son âge. Dans le noir il ne les fait pas.
Les jeux reprennent. Les rôles s’échangent. Il faut un peu de temps à mon désir, à mon audace, il faut que je m’autorise à le faire. J’ai envie. Il se laisse faire. Cool. Dans un souffle : « Vas-y doucement… » Tiens, j’aurais dû dire ça tout à l’heure. Avant, quand j’étais jeune, je le disais souvent, leitmotiv d’excitation et d’anxiété. Je m’exécute, j’y vais doucement. Devant ça a l’air d’aller, des râles et des soupirs. Moi ça va aussi. Enfin, il bouge un peu trop, il ne tient pas en place. Impossible de s’abandonner dans ces conditions. Trop appliqué, trop technique. Ça m’ennuie. Cette fois c’est lui qui demande : pause. Claquement élastique. Je retire ma capote.
Serré contre moi, sur le côté, il m’embrasse à pleine bouche, comme on m’a rarement embrassé. La délivrance dans un soupir, puis le repos. On bavarde un peu. Je pense à mon torse qui sèche, aux plaques rouges qui m’attendent si je ne vais pas me laver en vitesse. « Il faut que j’aille prendre une douche. — Moi aussi. Quelle heure il est d’ailleurs ? — Aucune idée. » Devant les douches il me laisse pour aller dans celle du hammam. Je ne comprends pas mais je laisse faire. J’aurai beau le chercher, je ne le reverrai plus de la soirée.
*
Au coin d’un couloir, au milieu des mecs qui tournent, un homme noir est assis, en tenue de travail, gants en latex. Regard absent, abattu, comme pour se soustraire à l’abjection qui le cerne. Ou bien est-ce la fatigue. Éboueur du sexe. Il se lève, parcourt les cabines, détergent à la main. Il pousse d’un geste vague ceux qui lui barrent l’entrée, clients éberlués qui le regardent d’un air pincé. La musique s’interrompt. La voix hispanique du préposé à la caisse retentit dans les hauts-parleurs. « … Homme de ménage à l’accueil … Homme de ménage à l’accueil, merci… »
Supermarché.