Hermann Hesse, SiddharthaDans l’Inde mythique du temps de Bouddha, un jeune brahmane du nom de Siddhartha, poussé par sa quête de sagesse, quitte sa famille pour suivre les Samanas, des ascètes errants dénués de tout. Il les laissera bientôt pour trouver sa voie par lui-même, se défiant de tout maître et de toute doctrine. Je ne prétends pas avoir fait de ce livre une lecture savante ; elle fut tantôt distraite, tantôt perplexe, perdu que j’étais parfois dans les concepts de la pensée hindoue. Mais elle resta bienveillante. Le style est dépouillé, à la manière d’un texte sacré. Sentiment d’étrangeté au monde des hommes, choix de la retraite, recherche du bonheur par la sagesse, dénuement, contemplation, mysticisme. Autant de thèmes qui viennent m’habiter, qui viennent se poser par moments, pour repartir en voletant autour de moi.

Cette nuit-là, nous en étions venus à parler de ce qui nous faisait vivre. Il m’en voulait d’avoir omis de le prévenir que j’avais un copain ; cela nous avait précipité dans le puits métaphysique. Il me faisait sourire avec sa volonté d’entrer dans le « cercle de la vie », obsédé qu’il était par la famille, les enfants. Cela sentait le fantasme de fusion avec l’amant et le deuil de la norme mal digéré. Je le contredisais et ça l’agaçait. « Mais putain, à quoi marches-tu, que cherches-tu dans la vie ? — La sérénité. — Laisse-moi rire, on ne vit pas, avec ça ! Moi c’est la passion qui me pousse en avant, je veux vibrer, tant pis si je souffre, il faut que ça secoue ! Toi tu me proposes de m’endormir là, connement, en attendant que ça se passe ! » Je m’étais trouvé un peu bête avec ma recherche de paix intérieure, ne sachant que rétorquer. Suivant sa pente je commençais à me dire que je renonçais à vivre.

Siddhartha me rassérène. Il se détourne de la plupart des passions, renonce aux plaisirs vulgaires des hommes, pour trouver en lui la paix nécessaire à son bonheur. Il est incapable d’amour, vit quasiment en ermite, sans pour autant s’aigrir ni mépriser quiconque. Dans un monde où l’on court après le succès, la performance, la reconnaissance et l’ascension hiérarchique pour se rassurer, cet autre visage de l’individualisme me fascine.