Une autre piste
lundi 14 novembre 2005, 20h36
Le réveil sonne pour le train. J’ouvre les volets, et surprise, il pleut sur Paris. La canicule écrasante daigne enfin s’estomper. Ironie du sort, c’est le jour où je pars pour une semaine de vacances chez Elle, entre Narbonne et Béziers, où la température s’obstine encore. Mon baladeur m’accompagne jusqu’à Lyon. Anne-Laure doit m’y retrouver pour qu’on poursuive le voyage ensemble. Anne-Laure en garante de l’aventure.
À la gare de Narbonne, nous sommes donc accueillis par la chaleur, mais c’est une chaleur maritime, qui sent les vacances. Elle porte une douce indolence qui ne me quittera pas du séjour. Je me souviens d’une délicieuse absence aux choses, d’un délicat retrait des vicissitudes de la vie parisienne. Pas d’internet, pas de cuisine à faire ni de métro à prendre. Peu de téléphone. La maison est spacieuse et confortable, agréablement décorée. Ses parents sont charmants, les repas sur la terrasse sont conviviaux et détendus. Quand le soleil ne mord pas trop, nous nous rafraîchissons dans la piscine avant d’aller lire ou écouter de la musique. Certaines des soirées se terminent en parties de tarot.
Le soir, je me retire dans une petite chambre, un peu à l’écart. J’attends la fraîcheur nocturne dans le noir, le casque sur les oreilles. Je retrouve Kid A, que je viens enfin de découvrir, et avec l’album c’est la prestation de Radiohead aux Eurockéennes qui émerge, première véritable expérience de concert, partagée avec Farkas : le sceau de nos retrouvailles. Avec You All Look the Same to Me d’Archive, je plonge prudemment dans les derniers démêlés avec Loutre, la fameuse correspondance de juillet que je viens de lui envoyer. Ou bien c’est ce disque des Robots in Disguise, qui me fait tant penser à Lui, Lui que je viens de rencontrer, qui suscite un espoir que j’imagine timoré alors qu’il me dévore déjà.
Le matin je suis toujours le dernier levé. Après la douche je trouve le petit-déjeuner servi sur la table desertée, et je mange seul, patiemment, alors que les filles bronzent autour de la piscine. Je crains d’être un peu patachon. Je goûte cette sérénité avec délices.
Très gentiment, Elle a prévu de nous montrer les charmes de la région, de nous emmener alors qu’elle est stressée en voiture, surtout lorsqu’elle est accompagnée. La mer tout d’abord, je crois que c’était à St-Pierre. Pendant que je faisais mon baptême de Méditerranée, Luke était en vacances à deux pas. À cette époque nous nous parlions sur MSN, mais nous ne nous étions pas encore rencontrés ; cela viendrait un an plus tard.
Et ensuite les berges de l’étang de Bages, les Corbières, les châteaux cathares : Aguilar, Quéribus, Peyrepertuse, tout cela au son de Buena Vista Social Club et d’OK Computer, balance entre nos affinités. Trop fade, trop bruyant, que d’inconfort : nous ne trouverons pas l’équilibre musical. Un tour dans la ville de Narbonne, le chœur et le transept de cette cathédrale inachevée, qui promettait d’être gigantesque, et dont l’ouvrage sombra à mesure que le sable envahissait le port de la ville, et assèchait les caisses.
Puis vient le moment où Anne-Laure doit repartir et nous laisser en tête à tête pour les quelques jours restants. Seuls l’un à côté de l’autre pour la première fois. Il va falloir se parler, faire comme si on avait une intimité à faire vivre. Je suis loin de tout, je ne saurai pas revenir pour elle. Pourtant nos promenades sont cordiales et jolies : l’eau turquoise de l’Œil Doux où la garrigue se jette en falaises blanches, la magnifique abbaye de Fontfroide où, debout dans le cloître, je deviens pierre des arcades. Sur la plage où nous sommes retournés, nous parlons de nos amours, chacun à notre tour ; comme deux monologues juxtaposés. Elle est possédée par son désespoir, refusera d’écouter mes timides rappels à la mesure. Moi je parle à peine de Lui, c’est trop neuf, et j’ai tellement peur de croire. Je crains qu’elle n’y comprenne rien. Ce n’est pas important. Cela m’appartient.