J’ai un peu hésité, mais j’ai fini par composer son numéro. Une sonnerie, deux sonneries, trois… Il décroche. La voix est lointaine, ne m’évoque rien ; trop sèche. Je lui demande si c’est bien lui, et instantanément je me trouve con. « Je n’avais pas reconnu ta voix. » Je lui dis que je ne pourrai pas venir ce soir, que je suis « bien malade ». Il ne répond rien, ou alors je n’entends pas : la connexion est mauvaise et il a toujours parlé assez doucement. Il est taciturne, livre peu de choses. Il faut aller le chercher. Je pose quelques questions sur le grand départ qui s’annonce. Pourquoi Manchester, s’il y a autre chose que Joy Division là-bas. Ça le fait rire. Il me répond simplement, calmement. En fait je peine à le reconnaître. Je ne retrouve pas ce petit côté efféminé qui m’avait surpris, la toute première fois que je l’avais eu au téléphone après dialH. Il faut dire que je m’attendais à un gros dur mal dégrossi, ça avait fait contraste ; charmant contraste. Là, il semble plus serein, enfin, je n’en sais rien. On a vieilli après tout. J’essaie de lui dire le respect et l’intérêt que m’inspire sa démarche, de faire ainsi table rase et de repartir à zéro, ailleurs, seul. Je trouve que ça lui va bien, et que ça a toutes les chances de marcher. Mais au téléphone je m’exprime mal, j’ai peur de faire petit, étriqué, condescendant. « On se sera ratés jusqu’au bout. »

Allez, bon vent, petit père. J’espère que tu me raconteras.