Chaleurs d’hiver
dimanche 2 octobre 2005, 16h40
Ce soir l’hiver habille la rue qui me mène chez Fillette. Une fine bruine virevolte, graisse les trottoirs et les vêtements. La lumière des réverbères traverse le nuage, diffuse, et réchauffe la nuit déjà noire. Il flotte un air de fêtes de fin d’année, de familles et de cadeaux derrière les vitres des salons.
Je suis vautré sur la chaise de bureau, lové au fond de la chambre mansardée. Devant l’ordinateur, j’abandonne peu à peu le chat pour m’offrir religieusement à ( ), l’album de Sigur Rós que mon frère vient de m’offrir pour Noël. La lampe halogène brûle la pénombre de ma défunte chambre d’enfant et d’adolescent.
Dans la vieille baignoire en émail blanc cassé par les années, je prends le bain rituel du samedi. Je suis enfermé dans la salle de bains, lieu à jamais disparu, vestige démoli de ma puberté balbutiante. L’eau chaude embue patiemment les glaces surplombant le lavabo. Dans la cuisine où s’affaire ma mère, j’entends siffler la cocotte minute qui cuit les pommes de terre pour la raclette.
Après la dernière partie de dominos, une fois le bonbon Vichy sucé avec délices, ma grand-mère m’a couché dans le cosy de la chambre du haut. Dehors l’hiver déchaîne ses rigueurs sur le village. Je l’entends hurler derrière les rideaux. Le feu dévore quelques bûches dans le petit poêle en fonte. Les flammes dansent sur le parquet, s’étouffant peu à peu. Je me blottis contre le meuble, là où les draps glaciaux plongent dans des profondeurs insondées.
En cette journée d’automne, nous sommes rassemblés autour du feu, sous la bâche clouée à la hâte sur les sapins pour nous protéger de l’averse. Nous venons de terminer un pan de mur de la cabane, et nous goûtons cet instant de répit en brûlant quelques herbes sèches. Les filles fument de la clématite. Marina illumine ce moment volé à l’intransigeance maternelle. Sans me l’avouer, je ne suis là que pour elle.
Dans cette chambre glaciale, le système d’aération souffle ses murmures. Au dessus du lit dansent les fantômes, épiant la nuit où nos corps se trouvent pour la première fois, sous les couvertures. Stéphane, Nicolas F., Nicolas C., Clément, Yann, ils sont tous là, à nous observer dans notre ivresse, en ricanant.
La fatigue de la veille m’attire vers le lit. Lumière tamisée et chevrotante, musique douce, soirée romantique avec l’éternel absent. Je fredonne Pooka en m’abandonnant au repos. Sur Ti Ki, Sigur Rós m’extrait de ma torpeur lorsque les nappes mélodiques émergent des scintillements de boites à musiques. Songe de ces jours-ci, Nothing flotte dans mon salon. Deux photophores, un bleu électrique et un pourpre ; mon amour et ma haine pour lui. Je souffle les bougies et je vais me coucher.