Moi, toi et tous les autres : « Back and forth. Forever. »
vendredi 28 octobre 2005, 11h23
On se donne une galerie de personnages dans une banlieue américaine, et on les regarde s’entrecroiser au gré du hasard. La plupart d’entre eux se comporte de manière incongrue, ce qui donne lieu à de multiples saynètes qui font sourire avec tendresse de ces doux dingues, constamment à côté de leurs chaussures. Les acteurs sont plaisants, ils savent être beaux, touchants dans leurs fêlures. Un film gentillet ? Certes non, il y flotte une fausse légèreté : l’absurdité apparente de ce qui s’y trame lui donne une consistance.
Le rêve éveillé tient une grande place, les silences sont éloquents. Beaucoup de matière passe par le non-dit, hors du discours des personnages. Les personnages rêvent leur vie, rêvent la vie des autres autour d’eux. Je suis frappé de voir combien ce film parle du virtuel comme je peux parler des chats (d’ailleurs éléments du film). Chaque personnage vit dans son propre monde, réalité modulée par les fantasmes qu’il y projète. Partant, on nous montre la difficulté de la rencontre, où les imaginaires se contredisent (et sont contredits par la réalité), créant la surprise, parfois le dépit. La sexualité, qui traverse le film de part en part, se joue constamment hors du cliché de la fusion des êtres : les personnages n’y partagent jamais la même aventure, y cherchent des choses radicalement distinctes ; certains sont victimes de malentendus, bernés par leur imagination trop téméraire.
Le film aurait pu s’arrêter au constat mélancolique de l’impossible communication entre les êtres. Il n’en est rien. Passée l’incompréhension, naît du choc des subjectivités la possibilité de grandir, de saisir l’inattendu comme un enrichissement. La rencontre finit par se faire, parfois éphémère et fragile, mais elle est tout sauf stérile. Cela donne lieu à de très jolies scènes ; la directrice du centre d’art contemporain qui rencontre son chat-mate pour le moins déconcertant ; le fils de parents séparés et la petite fille bien pressée de s’imaginer mariée ; le vendeur de chaussures paumé et la jeune artiste en proie au doute, dans sa folie douce.
De la même manière, le spectateur est invité à rencontrer chacun des personnages, dans une empathie singulière, et à partager leurs éternels allers et retours entre auto-fiction et réalité. Cela fonctionne étonnamment bien. Très beau moment que ce film.