Finding Out True Love is Blind
mardi 17 janvier 2006, 20h21
Me revoilà donc proche de l’hystérie amoureuse, dans toute son absurdité. Mauvaise nouvelle. Un SMS indélicat et tout un monde s’effondre. Il n’a pas envie de venir prendre le thé à la maison. L’affront suprême.
En parler avec tag est rassurant parce qu’éclairant. Pourtant ça fait mal d’entendre « J’ai l’impression que si ça avait dû se faire, ça se serait déjà fait ». Je prends le parti d’envoyer un mail au Garçon, concis, pas trop drama, avant d’aller faire un tour au Buttes.
Sur le chemin, je me dis qu’il y a tout de même des automatismes stupéfiants. Quand il n’y a pas de point de mire affectif, ou que les choses se barrent en couille, le recours universel c’est la drague. Il me faut une présence virtuelle, des gens à séduire, sinon je sombre. Une béquille émotionnelle.
J’arrive aux Buttes, les feuilles tombées occasionnent une transparence de bien mauvais aloi. En effet, le lieu est désert. J’en fais le tour lentement, en quête des étuis de capotes (qui jonchent le sol, effectivement). Je me pose contre le tronc horizontal d’un arbre presque déraciné. J’attends, pensif.
Pourquoi accorder tant d’importance à ce compagnon potentiel ? Pourquoi suis-je toujours si pressé ? Après tout, le bonheur se vit aussi dans le célibat, j’ai pu le voir de manière éclatante dernièrement, cette soirée avec tag, précisément, où d’après lui j’étais rayonnant. Le sexe dans le couple est pour moi un mystère insondable, pas forcément très attirant. Pourquoi cette quête éperdue de présence ?
Psychanalyse de comptoir, on va taper sur les parents. Le manque d’amour, tellement banal, pas forcément dans les faits, mais dans mon ressenti. Cette réussite scolaire si encombrante pour mes parents, cette mère qui me lègue ses angoisses et ne sait pas la tendresse, ce père qui me traite de femmelette et fait comme si les bulletins scolaires n’existaient pas. Le besoin perpétuel de reconnaissance, de séduire aussi. Tout en n’y croyant jamais, comme si c’était toujours voué à l’échec. Putain, je suis loin d’être con, je suis loin d’être moche, je suis loin d’être un psychopathe. Et je n’ai absolument pas confiance en moi. Une entreprise de sape aussi constante qu’insidieuse est à l’œuvre.
Un mec parcourt les sentiers. Moyen vieux, grand, à la fois rond et carré, cheveux ras, pantalon blanc de jogging à deux bandes, veste polaire rouge, petit bonnet noir. À deux épaisseurs de buisson de moi, il se plante sur ses deux jambes un peu écartées. Je ne vois pas son visage mais je sais qu’il regarde dans ma direction. Je fais pareil. Le bas de son pantalon s’agite en ondulant. Ma main descend dans ma poche. Putain, quelle idée d’avoir pris le gerbiPod, quelle conne. Il s’approche, s’arrête à mi chemin, se caresse la bite à travers le pantalon. Je l’imite. Il s’approche, m’attrape par le paquet. je reste adossé à l’arbre, à moitié assis, il est debout à côté de moi. Il a décousu une poche de son pantalon, on peut y passer la main sans le déshabiller, évidemment je ne me fais pas prier. Petite bite, circoncise, pas très pratique tout ça. Quelques grognements, ça n’a pas l’air de lui déplaire. Lui se débat avec mon foutoir de pantalon à poches pleines de bordel, cette braguette à boutons et cette ceinture tout à fait indispensable pour accroître encore un peu l’inconfort. Je finis par la retirer et la plier patiemment pendant qu’il essaie de me caresser. Un visiteur fait mine de mater, il nous dérange. Le mec s’arrête, me regarde, me fait un sourire, point fermé, pouce tendu vers le haut, je suis un top, un bon coup. Pourtant on s’est à peine branlé. Il s’en va. Voilà que j’ai perdu mon compagnon de jeu.
Un peu plus tard, un jeune mec habillé comme un sorbonnard coincé hésite. Il me passe deux ou trois fois sur les pieds, me regarde furtivement, sans s’arrêter. On finit plantés comme deux endives à deux mètres à peine l’un de l’autre. Je lance, détaché : « Pourquoi est-ce si difficile ? — Quoi donc ? — D’être ici, aujourd’hui ? — Je ne sais pas. — Le froid peut-être. — Et il n’y a personne. — En effet, il faut aimer la solitude. — Sur un lieu de rencontre ! — Oh, est-ce vraiment un lieu de rencontre ? Ce sont les solitudes qui se rencontrent. Ou on vient pour réfléchir. — Ah bon. — Tu viens souvent ici ? — Non, pourtant j’habite à côté. Trop de vieux je trouve. — Oh, pas tant que ça, regarde nous deux ! — Il faut bien tomber aussi. — Ou être patient. — Je ne le suis pas trop… Bonne journée, alors. Bonne réflexion. » Et il s’en va.
Je suis congelé, j’en ai marre de réfléchir. Il est temps de rentrer.