Tel un génie de sa lampe, un jeune homme a surgi sur mon MSN, torse nu sur une plage. C’était la veille de Noël. Il m’envoie son profil Keumdial. Nous avions vaguement parlé au début de l’année et il avait disparu, je l’avais retiré de mes contacts. Il a l’air mignon, ce qui me met dans de bonnes dispositions. En échange je lui envoie quelques photos ; les compliments ne tardent pas. « Quel âge as-tu ? », « Tu es où ? », « Est-ce que tu es poilu ? Moi j’aime bien les mecs qui font mecs, poilus », « Tu te rases pas le torse au moins ? », « Tu es actif ou passif ? Moi je suis passif mais je peux aussi faire plaisir », « Tu sais, je suis un mec cool, on va pas se prendre la tête, on se rencontre et on voit ce que ça donne, le couple j’y crois plus trop ». Il remplit sa fiche, il coche les cases. On s’épargne de justesse les tailles de bites. « Oh la taille on s’en fout, c’est pas important. » Enfin, la sienne est en photo sur son profil. Profil où on trouve aussi No tabou. « Histoire qu’il n’y ait pas de malentendu, ici c’est SSR, la capote c’est pas en option, et ce n’est pas négociable. — Non, t’inquiète, je suis pas fou, je tiens à ma santé. » Quelques jours plus tard, il a déjà perdu mon numéro, je lui donne une nouvelle fois, il m’appelle. Il cherche à bavarder mais ça n’est pas très naturel. Enfin, je parle pour moi, ma voix a dû lui plaire parce que la conversation sur MSN s’échauffe. « J’aime bien épuiser les mecs tu sais ? » Il se découvre peu à peu, il dit qu’il aime que ce soit bestial, que l’autre se lâche sur lui, approche ses limites. Il aime aussi les câlins, plutôt avant ou après l’acte. « Est-ce que tu aimes le jus ? » C’est un chaud, quoi, on peut le secouer, il aime ça. De quoi débiter des mètres et des mètres de sopalin. Et après ?

Du corps d’Orange je ne sais pas grand chose. Il y a quelques photos qui traînent de ci de là, mais pour savoir à quoi il ressemble à poil, quelle est la densité de sa toison thoracique par exemple, hé bien il faudrait que je le déshabille. Pour savoir ce qu’il aime il faudrait essayer, accepter de tâtonner, de se tromper, de s’adapter, d’être à l’écoute, d’être patient. Je ne fantasme pas sur lui, pas d’idée préconçue, sexuellement c’est une énigme, et c’est très bien comme ça. Ce qu’il cherche dans la vie ne se réduit pas à quelques phrases lancées au hasard d’un chat, cela reste diffus, un peu mystérieux, même si j’en ai une petite idée. Je ne sais pas si on se reverra, mais c’est comme ça depuis le tout début.

Orange c’est accepter l’incertitude, l’indéfini, le flou. C’est sortir du net et de cette manie de réduire l’autre à mes propres fantasmes, à le contraindre de la sorte pour ne jamais le rencontrer tel qu’il est. Ah, le joli piège qu’ont été ces chats, le piège tendu à mes angoisses, à mon obsession de contrôle.