Froid et chaud
jeudi 1 juin 2006, 15h33
7h15. J’arrive un quart d’heure en avance. Seul un homme déjà âgé fait les cent pas dans le couloir tandis qu’une femme de ménage récure le sol. Embrumé dans mon matin je patiente seul dans l’entrée. Les autres arrivent peu à peu. Un jeune homme châtain, typé Europe centrale, à la beauté glaciale ; un petit brun barbu taillé court dans un jean moulant violemment décoloré.
Les infirmières arrivent, nous répartissent dans les chambres. Je prends le lit près de la fenêtre. La marche à suivre m’est expliquée, la tenue d’opéré est pliée au bout du lit. J’ai droit à deux robes de papier crépon, bleu clair, fines elles sont transparentes. Les draps sont faits de la même matière étrange, de ce papier cotonneux étonnamment chaud pour son épaisseur. Des chaussons taillés dans des sacs poubelle, une charlotte m’attendent également.
J’ai peur de me préparer trop tôt mais je me lance. Je devrais passer dans les premiers. Je n’arrive pas à attacher les lacets derrière dans le cou, mon costume vole au gré du vent si je ne le retiens pas. Le bellâtre châtain peut se délecter du spectacle de mes petites fesses. Pour ma part je m’intéresse à peine à son anatomie ; je note à peine son slip Calvin Klein. C’est lui qui partira le premier et je resterai à attendre, étendu sur mon lit, contemplant le ciel changeant où se peignent mes humeurs, mon air triste de petit animal abandonné. Je pense à ceux qui doivent rester des semaines, des mois à l’hôpital.
Le médicament préopératoire arrive, mon tour s’annonce. Je demande à l’infirmière si c’est cette affreuse boisson amère que j’avais dû avaler quinze ans plus tôt, au moment de perdre un appendice devenu menaçant ; la boisson a un goût d’orange tout à fait tolérable. Je traverse le couloir, la porte du bloc a claqué. J’attends devant, le temps que l’infirmière m’ouvre de l’intérieur.
Je ne reconnais pas les infirmières dissimulées derrière leur masque. Jovial, je leur dis bonjour et elle me répondent « re-bonjour ». Je pénètre dans le salle d’opération où les gens s’affairent. J’y reconnais le chirurgien avec sa moustache bourrue. Un petit homme antillais m’indique où m’asseoir : « Bassin, là, tête, là. Plus bas ! Glissez » Il me pousse, me serre le bras droit dans une rigole. Il monte deux étriers. Je regarde autour de moi, un peu éberlué. La pendule marque 8h50. Les lampes circulaires me rappellent celles d’un dentiste. La peinture est défraîchie. Certains protagonistes attendent, raides dans un coin de la pièce. Le chirurgien s’inquiète vaguement « Ça va ? ». On me demande « Vous regardez autour de vous ? — Je suis un peu curieux… — Là c’est le laser, et là derrière le matériel d’anesthésie. » Relié à une machine informatique, au bout d’un bras articulé, un petit point rouge brille devant moi. Derrière, tout un fatras de machines que je ne cherche pas à détailler.
Une infirmière s’empare de mon bras gauche, le pose délicatement sur une petite table. C’est l’infirmière anesthésiste. Ses tâches de rousseur et sa voix douce lui donnent un air maternel. Elle me pose un masque à oxygène qui a un vague parfum d’amande. Je lui explique ma passion tumultueuse pour les aiguilles, ce qui ne semble pas la rassurer. La perfusion entre dans mon bras, je pense aux rails d’une agrafeuse qu’on charge d’un coup sec. Je supporte difficilement cette idée, mon ventre vide commence à faire des nœuds. « Vos analyses sont bonnes, monsieur M* ! lance l’anesthésiste en passant. » Je m’impatiente, inquiet de cette perfusion envahissante. Enfin le froid pénètre dans mon avant-bras, il remonte, gagne mes épaules. Je sens brièvement ma conscience vaciller. C’est agréable. Nous y sommes.
*
Me revoilà dans mon lit, émergeant d’une torpeur face à laquelle je ne cherche pas à lutter. Les infirmières s’affairent dans la chambre. J’ai un peu mal, un peu chaud entre les fesses. Je descends la main vers mon pubis ; mes poils pubiens sont intacts. Je suis habillé d’un slip en filet qui retient un pansement. L’oxygène gargouille à mon chevet, je m’en abreuve par le masque que je porte toujours sur le nez. Je me rendors en m’abandonnant à ma douce confusion.
Les infirmières reviennent, me prennent la tension, me parlent. Il semblerait que je sois bien réveillé. Le mec châtain a plus de mal à émerger. Je leur demande pourquoi ils font barboter l’oxygène dans de l’eau, si c’est juste pour s’assurer que ça coule effectivement. On me répond que l’oxygène pur serait irritant, qu’il faut l’humidifier. Il est 11h, à 12h30 je pourrai manger, à 14h on me débarrassera enfin de cette affreuse perfusion.
Je mange avec appétit un repas convenable, où l’on nous aura servi, ironie du sort, une grosse assiette de riz. La position finit par devenir inconfortable et je suis heureux de pouvoir m’allonger à nouveau, sans pour autant retrouver le sommeil. Je cuis, peu à peu la température monte. Je serre les dents en espérant que le plateau sera bientôt atteint.
L’infirmière arrive pour retirer la perfusion. En décollant le sparadrap, elle arrache les poils de mon compagnon châtain. Elle lui explique en souriant qu’il faut bien qu’il sache ce que ça fait aux filles de s’épiler. « Je me disais bien que ça tournerait à l’épilation gore ; la prochaine fois je me raserai les bras ! » lui lancé-je alors qu’elle s’approche de moi. « Au moins, j’espère qu’ils m’auront rasé la raie du cul » me dis-je pour me consoler. Heureusement que l’infirmière est habile, je ne sens presque rien ; de retour chez moi, je serai plutôt déçu au déballage.
*
Les amis prennent des nouvelles, c’est réconfortant. À 16h Jay arrive pour me raccompagner. Dans le taxi sa conversation badine me distrait de mon vague tournis et doit amuser le chauffeur. « Si tu as besoin de quelqu’un pour te passer de la crème, je veux bien t’aider. » Je fais la grimace… mais je me laisse porter. Peu à peu je raconte.
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