Sexe, langues et mathématiques
lundi 19 septembre 2005, 19h37
Samedi rime avec ennui, je me réfugie pour tuer le temps dans une escapade aux Buttes. Peu de monde, je patiente plutôt que de faire n’importe quoi avec n’importe qui. Un joli garçon débarque. Dans la pénombre du soir déclinant, je réalise que je le connais déjà, qu’on s’était déjà chopé il y a deux semaines. Il s’est rasé, s’est coupé les cheveux, on réalise désormais que c’est un beau jeune homme. Nous ne nous étions rien dit la fois d’avant, juste de l’action. Je m’étais imaginé qu’il ne parlait pas français, ou difficilement. « Tu veux qu’on aille chez moi ? » demande-t-il d’une voix amicale et posée, et je quitte le monde du piètre fantasme sexuel. Il s’incarne. C’est un Thomas.
Le chemin jusque chez lui réserve des surprises. Thomas habite en face d’un bar jadis fréquenté par RCQ. Évidemment il le connaît. Un peu plus tard, il me demande ce que je fais, et prend un air entendu quand j’évoque ma thèse de maths ; lui est prof en collège (de maths aussi), et sors d’une relation avec un normalien cachanais (en maths aussi). Évidemment je croise ce garçon dans la plupart des soirées où je mets les pieds. Le monde est petit, surtout le monde des pédés.
Arrivés chez lui, il m’offre une bière. Nous bavardons longuement sur son lit, sans drap ni couverture. Nous oublions bien vite notre dessein initial. Sur les lieux de drague, on ne vient pas pour baiser, on vient pour tuer le temps. En bons matheux, nous nous laissons aller à notre lubie commune. Je remarque un livre sur la théorie de Galois, il me parle géométrie du triangle, et pour faire le lien avec mes chères probabilités, je lui raconte le paradoxe de Bertrand (tout le monde en aura donc soupé). Il évoque enfin un problème de répartition de sommes d’argent entre amis randonneurs. La tension érotique est à son comble – insérer ici un sourire complice, un baiser aguicheur et un intermède pornographique.
Encore tout humides de nos sueurs mêlées, nous parlons voyages. L’Égypte émerge de mes souvenirs, et le cours d’arabe à sa suite. Je lui récite scolairement l’alphabet arabe. Les consonnes emphatiques ont du succès, il essaie de les prononcer à ma suite. Mais c’est le qaf qui rafle la mise, là sa tentative est un désastre, et je suis fier de mon petit effet. Je lui explique tout de même pour le rassurer que les Égyptiens se débarrassent bien volontiers de cette consonne si épuisante à prononcer. À son tour, il égrène les deux alphabets tamouls, les consonnes et les voyelles, qui se combinent pour donner des centaines de lettres enrubannées, puis me confie à mi voix son mépris pour l’hindi, que j’ai peut-être entendu dans les comédies musicales de Bollywood. Me voilà bien bête, tout à coup.
Au sortir de la douche, je le trouve sur son ordinateur. Il me montre, un rien ironique, le soin avec lequel il y range ses cours. Puis il arrache une feuille de son carnet, me tend son numéro. Je plie la feuille soigneusement, je la déchire suivant la marque. Sur la moitié restante j’inscris le mien. À un chiffre près, tous les numéros des départements de ma région d’origine y figurent.